L'OCCASION
Extraits de presse
COMŒDIA, du 31 octobre 1922
Vous vous souvenez du sujet de L’Occasion: au couvent une petite pensionnaire,
Mariquita, reçoit de sa compagne Paquita la confidence des amours
de celle-ci avec le moine Eugenio. Mariquita, elle ausi, aime Eugenio.
Et, désespérée, elle prépare un breuvage pour
s’empoisonner, quand survient Paquita altérée, et la fillette
jalouse laisse son amie s’empoisonner.
Si dramatique qu’elle soit, si bien conduite qu’en soit l’action, cette
pièce vaut davantage encore par le dialogue si vrai, si serré,
si plein d’âme et d’originalité qu’on y touve à la
fois l’aube du dialogue de Maeterlinck et quelque chose de celui de Jules
Renard. Si la scène des confidences entre les deux adolescentes
était un peu moins longues, si seulement les interprètes
la menaient d’un train plus hâtif, L’Occasion serait un de ces petits
joyaux qui ravissent tout-à-fait.
Quelques lattes de bois, quelques lais de toile tendue, quelques nuances
bien choisies suffisent à M. Dullin pour suggérer — avec
une force qui prouve une fois de plus l’inanité du réalisme
— l’idée et la réalité d’un couvent. Tout le fond
est occupé par une latge voûte surbaissée couvrant
une galerie d’où l’on descend en scène par des degrés
largement étendus entre deux avant-corps latéraux: dans celui
de gauche s’encastre la porte de la pharmacie où Mariquita dérobe
le poison; dans celui de droite une porte en ogive auprès de laquelle
se dresse — "au naturel", comme eussent dit nos décorateurs du XVIIème
siècle — l’oranger où Fray Eugenio cueille, au passage, les
amoureux billets de Paquita. Ce décor schématique se fond
dans une dominante grise, que fait valoir sous la voûte du fond,
un lointain céleste.
Les interprètes, tous habillés avec vérité
mais sans détails vains qui rompraient le style, jouent d’un même
ton sobre, sec mais pénétrant. Sur leurs gestes, sur le timbre
des voix s’appesantit la même austérité que sur le
décor. Unité parfaite, qui fait ressortir l’intensité
des sentiments dans la franche lumière des projecteurs. Cette unité
de jeu arrive même à nous faire oublier que Melle Génica
Athanasiou (Paquita) garde un fort accent roumain et que tel ou telle artiste
sont vraiment pauvrement doués. Chacun est si bien à sa place,
le rôle "colle" si exactement à ses moyens que les qualittés
bien e vedette masquent les défauts. Livrés à eux
seuls, ces comédiens manqueraient d’éclat. Leur collaboration
bien conduite obtient des ensembles parfaits, où Melle Chantal fait
de Rita la servante éternelle, bonne, sage et résignée;
M. Louis Allibert porte au-dessus de sa bure une belle tête sculptée
par l’extase puis par la honte; Melles Tisserand et Grazia animent d’une
causticité très vivante deux acides jeunes filles, où
enfin Melle Orane-Demazis, pauvre petit "bouchon" déshérité
mais rayonnant de fiévreuse passion, frémissant d’une fureur
endiablée, réalise une Mariquita aussi pitoyable qu’exaltée.
On lui a fait un légitime succès.